Après avoir abordé la création de l’email dans le premier article consacré à l’utilisation de l’IA dans l’emailing, je vous propose d’aborder le ciblage d’une campagne.
Le ciblage est une des clefs de la réussite d’une campagne d’emailing. Cette opération consiste à identifier la population appétente à l’offre (ou aux offres) contenue dans l’email. Traditionnellement, le ciblage va intégrer de nombreuses données présentes dans la base et notamment des données issues de la segmentation (PMGTG, RFM, SocioType, …), de scores d’appétences, etc.
On distingue classiquement 4 types de données pour réaliser un ciblage :
- Géographique : ville, langue, climat, …
- Démographique : âge, sexe, revenu, éducation, situation familiale…
- Psychographique ; style de vie, opinion, intérêt, valeur, attitudes…
- Comportemental : habitude d’achat, engagement vis-à-vis de la marque, statut sur la Life Time Value, surf …
Une des contraintes fortes du ciblage est d’arbitrer entre la taille de la cible et la performance par rapport à l’offre choisie. On évitera de sélectionner les individus peu réceptifs à l’offre pour notamment éviter de trop les solliciter (et générer ainsi désabonnement/plaintes et inactivité).
De nombreuses méthodes statistiques sont utilisées avec succès depuis longtemps, pour améliorer le ciblage et calculer des appétences à des types de produits, voire à des produits spécifiques. Le calcul de score d'appétence notamment est souvent utilisé pour cibler des populations intéressées par un produit donné.
Cela se concrétise par une courbe de gain ou de lift (bien connue des statisticiens)
La courbe bleue (en haut) calculée par le score montre l’évolution du gain en fonction du volume ciblé.
Ici la cible sélectionnée va toucher 10 % de la base et représente 67 % des ventes pouvant être réalisées sur ce produit (ciblage prédictif).
L’arrivée de nouveaux prestataires et technologies basés sur de l'IA, ouvre de nouveaux horizons pour les annonceurs et permet d’obtenir à moindre coût des ciblages très fins, prédictifs de la performance et plus performants que les méthodes traditionnelles.
Je vous propose de passer en revue 2 prestataires qui ont retenu mon attention sur ce sujet.
- Tinyclues
- NP6
Tinyclues (Petits indices) : un remarquable succès à partir de petits indices.
TinyClues est une startup qui s’est très bien implantée chez les plus gros sites e-commerçants français BtoC (environ 60 références) et aussi quelques sites de plus petite taille (easyparapharmacie, millesima,…). A la base la solution permet de réaliser un ciblage sous contrainte très performant à partir d’un produit (ou plusieurs) défini par l'utilisateur.
À partir d’un produit donné, il identifie les 5-10-20 % (dans les meilleurs cas ou le produit est segmentant) de la base qui vont générer les 50-70-90 % des ventes, qu’un envoi sur toute la base générerait.
Tinyclues présente le choix du volume à sélectionner par des sliders ou règle glissante). Les valeurs du slider représentent la taille de la base et le potentiel est dynamiquement calculé.
Ici 5% de la base représente 49 % du potentiel des acheteurs. Le lift (ici 10x) est un indicateur de concentration.
Avec 21,4% de la base, le potentiel est de 76% des acheteurs.
Plus le bleu est foncé, plus la concentration d'acheteurs est forte(et la pente de la courbe de lift est forte).
Il y a plusieurs façons de décrire Tinyclues (TC) :
- TC va trouver les "look alike" des acheteurs du moment pour le produit sélectionné (avec un langage marketing plus moderne)
- TC a calculer des scores d’appétences performants par individu sur tous les produits d’un catalogue,
- TC va calculer à la demande des scores d'achat prédictifs performants quelque soit le produit/thématique du catalogue.
Très rapidement les fonctions de Tinyclues ont permis de sélectionner plusieurs produits et d’arbitrer pour obtenir les différentes populations cibles pour maximiser les ventes et contrôler la pression commerciale (en optimisant le recouvrement entre les N cibles).
L'algorithme de Tinyclues utilise de l'intelligence artificielle non supervisée en multicouche (Deep AI) qui, schématiquement, va découvrir des segments “cachés”. Le terme non supervisé signifie que l’algorithme va prendre toutes les données qu'ont lui fourni pour optimiser le calcul et qu'il n'a pas d'à priori. Concrètement si on injecte au bout de quelques mois des données complémentaires (le surf sur le site, des données des réseaux sociaux, …), elles seront prises en compte par l'outil.
Pour fonctionner, Tinyclues a besoin des données du CRM de l’entreprise régulièrement mises à jour. Le système est opérationnel et performant à partir de 30 transactions pour un produit donné, sur une année ce qui est très faible.
Enfin, Tinyclues n’exécute pas les campagnes et a donc besoin d’un CRM pour réaliser les envois.
Le prix d’entrée de Tinyclues est du quelques milliers par mois et évolue en fonction :
- du volume de contacts activable,
- du nombre de campagnes optimisé.
Tinyclues s’est récemment implanté en UK et commence à se déployer aux États-Unis après avoir levé 5 M€ fin en 2015 et 1,4M€ en 2013
Un outil qui permet de libérer du temps au équipe mining/CRM
Il est intéressant de constater que c’est le produit qui est la clef d’entrée dans Tinyclues et non le client. Tinyclues s’insère donc très naturellement dans l’ADN de l’entreprise qui connaît d’abord très bien ses produits et souvent moins bien ses clients.
Tinyclues remplace rapidement et naturellement les équipes mining/stat qui travaillaient sur des scores d’appétence produit (qui deviennent caducs). Les équipes CRM ou Mining peuvent ainsi se consacrer à d'autres tâches que le ciblage. Par contre, elles peuvent avoir plus de campagnes à gérer car ce sont les campagnes ciblées sur des produits ou gamme de produits qui vont se multiplier.
L’enjeu d’une industrialisation des campagnes d’emailing devient crucial (mais les outils d’email builder existent et sont maintenant bien accessibles).
Les usages de l'outil dans le plan relationnel.
Tinyclues cite différents scénarios d’utilisation pour les marketeurs et notamment :
- Garder les mêmes volumes ciblés avant optimisation en permettant à Tinyclues de cibler une population plus performante et le gain incrémental de performance sera plus important par rapport aux campagnes sans Tinyclues,
- Diminuer la fréquence des campagnes “toute base” qui use celle-ci et nuit à la délivrabilité en les remplaçant par de plus petites campagnes plus performantes. Un inconvénient : la multiplication des campagnes.
- Envoyer des campagnes difficilement réalisables sans TinyClues : produits rares, segmentant ou de niches où les scores existants peinaient à être performants et à trouver du volume.
Par exemple, dans le secteur du voyage, il est utilisé pour répondre à la demande suivante : “trouve la meilleure cible intéressée par cette destination entre 2 dates soit très proches (late bookers) soit plus éloignés (early bookers) - Optimiser les campagnes de Branding en sélectionnant plusieurs produits pertinents qui vont permettre de toucher une large cible.
Beaucoup de témoignages sur des gains conséquents
Tinyclues annonce qu'en moyenne ses clients ont mesuré, par A/B test une augmentation de 49% du CA des campagnes (un récent article décrit plus précisément ce chiffre). Quelques structures ont témoigné de son usage et notamment :
- Voyages SNCF augmente de 115% les revenus de ses campagnes
- Cyrillus qui annonce +20 % de chiffre d'affaires sur ses campagnes d'emailing (mesuré grâce à un contrôle groupe) mais aussi +20 % sur les emails drive to store (donc qui génère de l'achat en magasin),
- La Fnac avec une hausse de 30 % en termes de chiffre d’affaires généré, « sur des cibles qu’on n’adressait pas précédemment ».
Sur le blog de Tinyclues, vous trouverez notamment un calculateur de ROI permettant de prédire le gain probable de Tinyclues sur vos pratiques marketing d'emailing.
Une évolution vers la prise en charge d’une partie du programme relationnel.
En mars 2017, Tinyclues a sorti une nouvelle version de son application (Tinyclues action) qui étend son champ d’application et permet :
- de saisir à l’avance son plan de campagne sur une semaine avec les volumes issus de Tinyclues et les canaux d’exécution,
- de définir manuellement des seuils de pression commerciale,
- de cerner quotidiennement les campagnes dont les cibles se recouvrent et de pouvoir arbitrer sur celle-ci entre diminution de volume et extension de la cible,
- de prendre en charge les adresses qui n’ont pas pu être envoyées suite à un dépassement du seuil de pression commerciale et de répéter la campagne avec cette cible. Une gestion intéressante du résultat d'une surpression qui est rarement présente dans les outils de gestion de campagne.
Sur l'exemple ci-dessous, la campagne "T-shirt_manches_imprime' cible 431 401 adresses soit 12,8% de la base pour un potentiel de 83% des ventes.
Cette campagne génère notamment un recouvrement (Overlap) de 51,6% par rapport à la campagne "Shoes_femmes".
Pour chaque campagne, l'outil offre de nombreuses analyses (démographique, ventilation par domaine, nombre d'achat …) qui permettent de caractériser celle-ci.
Sur la partie droite de l'action, on peut voir la caractérisation de la cible Lego sur les données RFM (qur Tinyclues ne calcule pas) la région, les domaines et l'âge
Développement futur
A terme en balayant régulièrement la base des produits et les cibles appétentes associées, Tinyclues souhaite automatiser le plan de campagne et réaliser automatiquement l’envoi. Un projet à suivre avec attention, car il bouleverserait fortement le métier de la gestion de campagne.
Mon avis
Enfin une application d'IA largement utilisée et qui soulève globalement l'enthousiasme de ses utilisateurs avec des gains conséquents. Une fois déployée l'outil optimise la pression commerciale ressentie tout en ciblant mieux. J'ai été notamment très étonné de le voir utilisé chez les acteurs de la vente privée (daily deal) qui font toujours des envois massifs quotidiens complétés par des campagnes ciblées sur des produits intéressants. Les cas d'usage se multiplient avec des scénarios assez variés et créatifs pour certains (produit de niche, lancement de produits nouveaux ..).
Un point à surveiller dans certains usages : il faut globalement produire plus d'emailing et la chaîne de production peut "surchauffer".
Enfin l'outil est rentré en octobre 2017 dans le cadrant de Gardner 2017 “Magic Quadrant for Digital Marketing Analytics”
NP6 avec un outil prédictif d’optimisation des campagnes
NP6 s’est lancé il y a 2 ans dans le développement d’un outil permettant d’optimiser les campagnes de prospection de partenaires en intégrant les nombreuses contraintes liées à cette activité. L’application a été déployée chez Easy Voyages.
Le contexte est le suivant : l’entreprise doit planifier la réalisation de nombreuses campagnes de promotion (contenu figé) pour des partenaires dans un temps donné et bien sûr en utilisant sa base de données optin partenaire. L’outil doit permettre :
- d’identifier les meilleures cibles,
- d’identifier les meilleurs moments d’envoi par individu,
- d’optimiser la pression commerciale par individu (définir un modèle d’exaspération puis un seuil d’exaspération),
- de prendre en compte les contraintes de délivrabilité,
- …
NP6 a fait travailler ses meilleurs statisticiens sur ce sujet et l’outil est en production depuis plus d’une année chez EasyVoyages avec la newsletter VIP/MAG.
Pour l’utilisateur, les différentes phases de développement du produit ont été les suivantes :
- Typer la campagne (newsletter, promotion…), son contenu (type de voyage…), les contraintes du partenaire, le modèle économique (CPC, CPL…),
- Récupérer les données sur la campagne déjà effectuée (ouverture, clic, achat client….) et les futurs envois,
- Lancer le moteur de scoring probabilistique par individu
- Proposition d’un planning optimal de campagne avec une simulation du ROI. L’outil permet de modifier le planning (arrêt momentané d’une campagne et reprise du calcul d’optimisation).
En mai 2016, Hervé Sevestre (Marketing Director Europe d'EasyVoyages) avait témoigné sur les résultats de l’outil : “le taux d’ouverture est multiplié par 2.5 (de 8 % à 20 %). + 7 % en volume d’ouverture en sollicitant 60 % de la base. Un eCRPM optimisé de 50 %. La réputation est maîtrisée, la délivrabilité n’est plus un problème”.
Pour en savoir plus : “Recherche opérationnelle : les maths arrivent dans l’emailing !”
Mon avis
Un gros travail de fond pour NP6 et ses équipes de statisticiens qui ont débroussaillé ce sujet prometteur. Il reste à commercialiser largement la solution.
D'autres prestataires se positionnent sur ce sujet :
- Influans qui vient de lever 6 M€ et dont le fonctionnement est assez proche de celui de Tinyclues. Les premiers tests sont en cours et il est encore trop tôt pour se prononcer sur l'outil et sa performance
- IBM qui commercialise une offre IBM Watson Marketing. Une vidéo donne ici plus de détails. Etant donné que la quasi totalité des offres d'iBM se nomme Watson, difficile de savoir où se trouve l'intelligence artificielle dans le produit. Dans la vidéo on reconnait d'ailleurs les fonctions du produit Silverpop racheté en 2014.
- Ysance avec Ysance Stories
- Inbox avec son usine à scores
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